• Il pivota sur ses pieds en imitant mon geste l’air amusé et cria par deux reprises en riant. « Tout ça ??… Supposons qu’on puisse répondre par oui ou par non, qu’est-ce que ça change au fond ? Hein ? Qu’est-ce que ça change ?».

    Je sortis le petit livre de ma poche en le pointant vers son visage.

    Pour moi ça change beaucoup de choses, cela rend les souffrances plus supportables !

    Cela les rend-t-elles plus supportables de penser qu’elles sont permises par la volonté d’un Dieu ? Personnellement je les trouverais plus injustes ! Je crois que c’est satisfaire un besoin de consolation et non une affaire de simple bon sens. Tu ne cherches pas réellement une réponse en posant cette question, juste une consolation pour tes peines à vivre ou celles d’autrui ! ».

     

    Sa remarque me plongea dans une méditation introspective, je voulais voir au fond de moi, vérifier la justesse de ces mots. Il avait en partie raison. Croire que toutes les choses difficiles qui nous arrivent plongent leurs racines dans une « intention » supérieure apporte un réconfort certain. Nous avons tous besoin de nous sentir bien-aimés. Surtout lorsque ceux qui nous sont proches ne nous offrent pas cet amour. Ou ceux qui ne sont plus là pour le faire. Une buse plongea soudain vers une proie à une vingtaine de pas de l’endroit où nous nous trouvions. Je songeais au petit animal qui venait de rencontrer son dernier instant de vie. Aucune de mes pensées ne semblait échapper à l’attention de cet homme dont j’ignorais encore le nom. Il voyait clair en mon esprit lorsqu’il dit : « Et oui ! C’est cela la vie! Les êtres vivants qui se dévorent, les gros mangent les petits qui mangent des graines. Les plantes nous nourrissent, et de plus gros encore finissent par dévorer les moyens ! L’équilibre d’un monde basé sur la violence, s’il y a un Dieu, c’est ainsi qu’il a voulu son monde n’est-ce pas ? Aurais-tu trouvé la clef de cette énigme ?».

     


    votre commentaire
  • « Oui, j’aime bien la solitude, lui répondis-je, et j’adore cet endroit perdu ! ».

     Les endroits perdus sont bons pour trouver son chemin, n’est-ce pas?

    Il s’assit sur une pierre, presque en face de moi et me proposa sa gourde. Je la refusai en le remerciant car je préférais endurer la soif plutôt que de boire à un goulot étranger. Il me rendit ma politesse avec un sourire qui remontait jusqu’aux oreilles. Ce sourire, c’était évident, ressemblait à une moquerie mais je n’en laissai rien paraître. Nous restâmes de longues minutes à nous regarder dans les yeux sans prononcer un mot. Moi, parce que je nourrissais une suspicion à son égard : que pouvait bien vouloir cet homme mûr à un adolescent  qui semblait un peu perdu dans sa tête en un lieu tout aussi perdu ? Et lui visiblement, profitait de ce dialogue muet pour m’explorer plus profondément. Il me fit penser dans cet instant à un médecin détaillant le patient qui entre dans son cabinet. Ses yeux ne cessaient de sauter d’un point à l’autre de mon visage, d’une partie à l’autre de mon corps. Je me souviens d’avoir comparé son regard à celui de ces hommes qui se battent contre le courant des rivières, un tamis entre les mains fixant le fond caillouteux espérant voir surgir de l’eau la pépite d’or tant convoitée. Comme on chasse le papillon exceptionnel, celui qui d’un coup d’aile reposera dans un ordre nouveau toute une vie éparpillée dans les traverses des cités, de ces cités qui nous dérobent nos intimités pour les fondre en une seule, celle du citoyen.

    Le papillon, il le saisit enfin. Je le compris tout de suite lorsque je vis ses yeux rivés sur un petit morceau du livre qui dépassait de la poche de mon gilet. Suffisamment pour qu’on puisse en lire l’intitulé. En ce temps là je trempais jusqu’au cou dans les évangiles. Une femme rencontrée quelques mois plus tôt alors que je m’étais enfui de la maison, m’avait accroché sur le trottoir. Sortant de je ne sais où, elle avait posé sa main sur mon épaule pendant que je contemplais un magnifique écureuil qui se croyait à Luna-park et faisait tourner à toute vitesse la grande roue de sa cage. Je me sentis si proche de lui. J’étais bien comme cet écureuil, aussi prisonnier que lui et j’eus envie de  l’ouvrir cette porte, le libérer m’aurait donné l’illusion de me libérer moi-même.

     


    votre commentaire
  • Selon mes parents, j’étais un enfant difficile. Mon premier souvenir remonte à l’année mille neuf cent cinquante sept. J’avais donc deux ans. Nous vivions au Maroc, dans la ville de Casablanca. Pays que nous quittâmes l’année suivante à cause des troubles politiques que le monde appelait les « évènements ». Qu’a donc déposé ce pays dans mes cellules ? Je me souviens des images qui me hantaient durant ces années qui suivirent. Souvent elles surgissaient de cette mémoire qui ne porte pas bien son  nom. Au hasard d’une conversation, au détour d’une rue, en pleine classe alors que l’instituteur, Mr Pierron, m’interrogeait sur la leçon que je n’avais pas su retenir. C’étaient des images emplies d’une lumière blanche éblouissante. Voilà ce que ce pays et surtout cette ville blanche a imprégné dans ma chair. Ce devait être une après-midi, je venais de me réveiller d’une sieste indispensable. Les murs de la salle où ma mère avait installé mon lit étaient colorés sans doute, mais je ne m’intéressais ni aux murs ni aux meubles, ni aux toits. Seul le couloir avait un sens pour le petit bonhomme que j’étais, il donnait sur la cour extérieure. Au bout de ce couloir une énorme bouche aveuglante me faisait signe d’approcher. A cause de cette lumière, je ne pouvais regarder devant moi pour me diriger. Mes mains devant les yeux, j’avançais en suivant les dalles qui traversaient la pelouse. Mon instinct de petit garçon devait savoir qu’en marchant vers la chaleur de la cour, je trouverais la « mère » allongée dans sa chaise longue, sous l’ombre généreuse et lourde d’un palmier. Je traînais derrière moi le petit drap blanc dont on me couvrait afin que les mouches ne perturbent pas trop mon sommeil. Je marchais en grimaçant,  j’étais mécontent comme un enfant qui vient de s’éveiller et voit sa solitude. Les enfants ont toujours peur d’être abandonnés, n’est-ce pas ? Je me souviens avoir traversé la cour en gémissant. Celle qui fut mon  premier repère dans la vie. Celle dont je ne pouvais douter, émergea de son sommeil en marmonnant des mots qui sonnaient comme une réprimande. Il n’était pas bon que l’enfant soit déjà réveillé, qu’on allait le reconduire illico jusqu’à sa couche. Tel est le premier souvenir que j’ai de mon entrée dans ce monde. Une grande chaleur, une lumière aveuglante, des panneaux blancs partout qui renvoyaient les éclats éblouissants d’un soleil permanent.

     


    votre commentaire
  • Il est passé devant le soleil. J'étais assis sur une pierre reprenant un souffle effiloché aux branches et rochers du chemin. Un sentier qui gravissait en serpentant cette petite montagne que les gens du coin appellent « le pilon du roi ». Le pilon, c’est un gros rocher gris qui s’élève comme un doigt, il pointe vers le ciel plus de soixante-dix mètres de falaise. Son périmètre ne dépasse pas la centaine de pas. Depuis combien de millions d’années m’attendait-il, secoué par un vent qui lui livrait une bataille incessante ? L’adolescent que j’étais, venait chercher auprès de lui une sorte de protection paternelle. Il était aussi un ami à qui je confiais mes peines et mes craintes. Pas un arbre n'avait réussi à prendre pied ici, que des pierres et de la poussière en guise de terre. Un vent fou hurlait jour et nuit presque trois cent soixante cinq jours sur trois cent soixante cinq. Il y avait bien quelques pins sylvestres sur la façade sud, un peu plus bas. Le vent passait au-dessus de leur tête en les ignorant. Quelles bêtes auraient pu vivre là ? Quelques chèvres dans le temps de Pagnol avaient sans doute dessiné ces sentes encore visibles de nos jours.

    Lorsqu'il s'arrêta devant moi, en sifflant un salut qui ressemblait au chant du mistral sur le roc, je ne pus rien discerner d'autre que ses chaussures, tant le soleil éblouissant faisait de lui une ombre chinoise gracieuse, et de moi, une tomate roussie. Je ne l'avais pas entendu arriver. Sa voix me fit sursauter, je venais de m'asseoir un instant plus tôt. Comment avait-il pu se trouver devant moi si rapidement, sans que je perçoive son mouvement ? Je me répondis en moi-même que le bruit de ma respiration essoufflée avait du recouvrir celui de ses pas, et que sans doute il n'était guère loin quand je décidai de m'arrêter. Le vent, la sueur, mon souffle haletant et la chaleur m'avaient coupé d'une partie de mes sens. Ses chaussures étaient des sandales de cuir. Comme celles que les moines portaient au temps jadis, du moins c'est ce que je me figurai. Lorsqu'il s'aperçut de ma gène et de mon éblouissement, il s'écarta un peu me laissant le loisir de le regarder. Tout d'abord ce sont ses yeux foncés et légèrement riants qui me frappèrent, puis son chapeau de feutre noir enrubanné d'un tissu multicolore. Sous sa chemise fleurie, grande ouverte, brillait une sorte de débardeur blanc sans tâche aucune. Un homme entre cinquante-cinq et soixante-cinq ans se tenait devant moi, droit dans son jean appuyé sur un bâton de marcheur.

    « Belle journée pour marcher en solitaire, n'est-ce pas? » me lança-t-il comme pour démarrer une conversation ou me rassurer.

     

    C'était le jour de mes dix-sept ans. Le premier jour d'une année de longues marches dans la nature, en pleine forêt et dans les collines entre Marseille et Gardanne. Mais ces marches n'étaient pas de simples randonnées. De celles où l'on compte le temps et les pas pour s'assurer du chemin parcouru, c'étaient des marches vers Dieu, ou du moins ce que je croyais être Dieu. Il fallait bien qu’un créateur existe, cela représentait pour moi la clé de toutes les énigmes, « où était donc l'erreur ? Car il n'y avait pas de doute, la cigogne s'était trompée de planète! ». Alors, je le cherchais, persuadé qu’il se montrerait plus facilement dans des lieux comme celui-ci. Le silence des sommets doit ressembler à celui des déserts, l’esprit s’y occupe différemment. Le dialogue intérieur se simplifie, les pensées se réduisent, réduisant l’ego. Ce n’est pas vous qui accomplissez la métamorphose, non, c’est bien la force qui habite ces endroits. Celle qui respire sous le manteau du silence. Vos pensées se dilatent, vous touchez à des parties secrètes de votre être. Le dialogue n’est pas stoppé, il change de forme, comme si une troisième voix se mêlait à votre conversation interne. Pour ces raisons, je ne me sentais pas seul lorsque je me trouvais sur la montagne. Je parlais avec quelqu’un, je ne pouvais le nommer ni le définir, mais je sentais bien sa présence. La « chose » était là, dans l’air et parfois dans la pierre, elle flottait comme un fantôme, elle me touchait la peau parfois, me caressait les cheveux, me faisait frémir dans un sentiment mêlé de joie et de crainte.

     


    votre commentaire
  • Terre sèche et vent froid
    Pierres blanches et salées
    Parfums mauves et suaves


    Ses mots
    M’ont fait trembler bien des fois
    Et empêché de dormir bien des nuits

    C’est la plus belle chose qu’il me reste
    Des nuits et des tremblements.

     


    votre commentaire