• Extrait de... Rencontre d'une vie.

    « Oui, j’aime bien la solitude, lui répondis-je, et j’adore cet endroit perdu ! ».

     Les endroits perdus sont bons pour trouver son chemin, n’est-ce pas?

    Il s’assit sur une pierre, presque en face de moi et me proposa sa gourde. Je la refusai en le remerciant car je préférais endurer la soif plutôt que de boire à un goulot étranger. Il me rendit ma politesse avec un sourire qui remontait jusqu’aux oreilles. Ce sourire, c’était évident, ressemblait à une moquerie mais je n’en laissai rien paraître. Nous restâmes de longues minutes à nous regarder dans les yeux sans prononcer un mot. Moi, parce que je nourrissais une suspicion à son égard : que pouvait bien vouloir cet homme mûr à un adolescent  qui semblait un peu perdu dans sa tête en un lieu tout aussi perdu ? Et lui visiblement, profitait de ce dialogue muet pour m’explorer plus profondément. Il me fit penser dans cet instant à un médecin détaillant le patient qui entre dans son cabinet. Ses yeux ne cessaient de sauter d’un point à l’autre de mon visage, d’une partie à l’autre de mon corps. Je me souviens d’avoir comparé son regard à celui de ces hommes qui se battent contre le courant des rivières, un tamis entre les mains fixant le fond caillouteux espérant voir surgir de l’eau la pépite d’or tant convoitée. Comme on chasse le papillon exceptionnel, celui qui d’un coup d’aile reposera dans un ordre nouveau toute une vie éparpillée dans les traverses des cités, de ces cités qui nous dérobent nos intimités pour les fondre en une seule, celle du citoyen.

    Le papillon, il le saisit enfin. Je le compris tout de suite lorsque je vis ses yeux rivés sur un petit morceau du livre qui dépassait de la poche de mon gilet. Suffisamment pour qu’on puisse en lire l’intitulé. En ce temps là je trempais jusqu’au cou dans les évangiles. Une femme rencontrée quelques mois plus tôt alors que je m’étais enfui de la maison, m’avait accroché sur le trottoir. Sortant de je ne sais où, elle avait posé sa main sur mon épaule pendant que je contemplais un magnifique écureuil qui se croyait à Luna-park et faisait tourner à toute vitesse la grande roue de sa cage. Je me sentis si proche de lui. J’étais bien comme cet écureuil, aussi prisonnier que lui et j’eus envie de  l’ouvrir cette porte, le libérer m’aurait donné l’illusion de me libérer moi-même.

     


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