• La rencontre... Extrait de.

    Il est passé devant le soleil. J'étais assis sur une pierre reprenant un souffle effiloché aux branches et rochers du chemin. Un sentier qui gravissait en serpentant cette petite montagne que les gens du coin appellent « le pilon du roi ». Le pilon, c’est un gros rocher gris qui s’élève comme un doigt, il pointe vers le ciel plus de soixante-dix mètres de falaise. Son périmètre ne dépasse pas la centaine de pas. Depuis combien de millions d’années m’attendait-il, secoué par un vent qui lui livrait une bataille incessante ? L’adolescent que j’étais, venait chercher auprès de lui une sorte de protection paternelle. Il était aussi un ami à qui je confiais mes peines et mes craintes. Pas un arbre n'avait réussi à prendre pied ici, que des pierres et de la poussière en guise de terre. Un vent fou hurlait jour et nuit presque trois cent soixante cinq jours sur trois cent soixante cinq. Il y avait bien quelques pins sylvestres sur la façade sud, un peu plus bas. Le vent passait au-dessus de leur tête en les ignorant. Quelles bêtes auraient pu vivre là ? Quelques chèvres dans le temps de Pagnol avaient sans doute dessiné ces sentes encore visibles de nos jours.

    Lorsqu'il s'arrêta devant moi, en sifflant un salut qui ressemblait au chant du mistral sur le roc, je ne pus rien discerner d'autre que ses chaussures, tant le soleil éblouissant faisait de lui une ombre chinoise gracieuse, et de moi, une tomate roussie. Je ne l'avais pas entendu arriver. Sa voix me fit sursauter, je venais de m'asseoir un instant plus tôt. Comment avait-il pu se trouver devant moi si rapidement, sans que je perçoive son mouvement ? Je me répondis en moi-même que le bruit de ma respiration essoufflée avait du recouvrir celui de ses pas, et que sans doute il n'était guère loin quand je décidai de m'arrêter. Le vent, la sueur, mon souffle haletant et la chaleur m'avaient coupé d'une partie de mes sens. Ses chaussures étaient des sandales de cuir. Comme celles que les moines portaient au temps jadis, du moins c'est ce que je me figurai. Lorsqu'il s'aperçut de ma gène et de mon éblouissement, il s'écarta un peu me laissant le loisir de le regarder. Tout d'abord ce sont ses yeux foncés et légèrement riants qui me frappèrent, puis son chapeau de feutre noir enrubanné d'un tissu multicolore. Sous sa chemise fleurie, grande ouverte, brillait une sorte de débardeur blanc sans tâche aucune. Un homme entre cinquante-cinq et soixante-cinq ans se tenait devant moi, droit dans son jean appuyé sur un bâton de marcheur.

    « Belle journée pour marcher en solitaire, n'est-ce pas? » me lança-t-il comme pour démarrer une conversation ou me rassurer.

     

    C'était le jour de mes dix-sept ans. Le premier jour d'une année de longues marches dans la nature, en pleine forêt et dans les collines entre Marseille et Gardanne. Mais ces marches n'étaient pas de simples randonnées. De celles où l'on compte le temps et les pas pour s'assurer du chemin parcouru, c'étaient des marches vers Dieu, ou du moins ce que je croyais être Dieu. Il fallait bien qu’un créateur existe, cela représentait pour moi la clé de toutes les énigmes, « où était donc l'erreur ? Car il n'y avait pas de doute, la cigogne s'était trompée de planète! ». Alors, je le cherchais, persuadé qu’il se montrerait plus facilement dans des lieux comme celui-ci. Le silence des sommets doit ressembler à celui des déserts, l’esprit s’y occupe différemment. Le dialogue intérieur se simplifie, les pensées se réduisent, réduisant l’ego. Ce n’est pas vous qui accomplissez la métamorphose, non, c’est bien la force qui habite ces endroits. Celle qui respire sous le manteau du silence. Vos pensées se dilatent, vous touchez à des parties secrètes de votre être. Le dialogue n’est pas stoppé, il change de forme, comme si une troisième voix se mêlait à votre conversation interne. Pour ces raisons, je ne me sentais pas seul lorsque je me trouvais sur la montagne. Je parlais avec quelqu’un, je ne pouvais le nommer ni le définir, mais je sentais bien sa présence. La « chose » était là, dans l’air et parfois dans la pierre, elle flottait comme un fantôme, elle me touchait la peau parfois, me caressait les cheveux, me faisait frémir dans un sentiment mêlé de joie et de crainte.

     


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