• Séduction et mensonge

     Vous semblez ne voir que le mensonge, la tromperie, dans ce qui peut séduire, est-ce que je fais erreur ?

     

    La route est longue... Quoi que l'on fasse, quoi que l'on touche, on est toujours en face du mensonge. Si peu d’occasion de rencontre... Là, je vous parle de tout ce qui vient de l’homme, et tout est construit sur le mensonge, absolument tout. Lorsque tu apprécies cet objet que celui-là te « vend » ou prétend t'offrir, comme étant le plus précieux, le plus beau, ce n'est encore qu’un tissu de mensonges.

     

    Les politiques, les moralistes je comprends, mais les poètes, sont-ils aussi des menteurs ?

     

    Je me fais souvent cette réflexion, parce que j'aime tremper mon nez dans les livres de poésies, et oui, toujours en quête de ce poète rêvé, mais toujours déçu au final. Je me demande ce que je peux attendre des poètes, (des romanciers n’en parlons pas), tous des menteurs, des séducteurs (rires)…

     La vérité justement s’oppose à l’acte poétique, elle s’oppose à tout acte intellectuel en fait, puisque aucun mot ne peut transporter la vérité, aucun assemblage de mots aussi séduisants soient-ils… C’est à tort qu’on parlerait de vérité dans la poésie, tout est séduction en elle. Elle est le rouge à lèvres et le mascara aux yeux qu’on ajoute à la beauté.

     

    De toute façon, c’est mettre des mots pour parler du silence, non ?

     

    Exactement, or le silence, le vrai silence, pas celui qui est absence de mots, absence de paroles mais plutôt le silence qui est la parole sans les mots, s’oppose à tout acte prosaïque ou poétique, mais pour moi, les vrais poètes (et il n’y en a pas beaucoup), comme les vrais musiciens, s’expriment dans le silence, jouent les silences.

     

    Mais, n’êtes-vous pas en train d’essayer de dire des vérités avec des mots présentement ?

     

    Non, je suis en train de mettre des mots sur le mensonge, lorsque je parle de « vérité », il ne s’agit pas de ce que vous appelez : « la vérité », celle des idées, des jugements, des valeurs, etc. Il ne s’agit pas de la vérité des journaux, celle dont je parle (la vérité) ne souffre pas de voyager par les mots. Il est question ici d’une vérité qui n’est pas à dire mais à vivre, qui ne réside que dans la relation de chacun au monde. Cette relation, nous n’y sommes presque jamais, même pas dans notre sommeil, parce que nous sommes pétris de mensonge et que ce que nous produisons est déchet de mensonge.

     

    Comment faire pour utiliser les mots et en même temps produire une parole sans les mots ?

     

    C’est très paradoxal et c’est justement ce que les « vrais » poètes arrivent à faire, j'entends par « vrais poètes » ceux qui ne sont pas forcés, par leur ressentiment, à ne parler que d'eux-mêmes en fait. Prenons une image : c’est un sculpteur qui est devant son bloc de marbre et il fait semblant de taper avec son marteau et son burin. Tout en faisant sérieusement semblant, (c’est à dire qu'en son esprit il est réellement en train de créer l’objet qu’il s’est fixé), il laisse son inspiration le guider mais aucun son de burin cognant sur le marbre n’est produit puisqu’il ne le touche pas. Et nous sommes là à nous demander de qui se moque ce fantasque sculpteur, quand soudain, aspirés par l’énergie de l’artiste, nous glissons dans son imaginaire, et le visage tiré du marbre se montre à nous, son expression émergeant peu à peu du brouillard mental qui nous tenait en sommeil. Certains poètes font avec les mots exactement la même chose. Quand tu lis leurs vers, tout d’abord, tu ne sais pas de quoi ils parlent. Puis tu es troublé parce que tu cherches un double sens ou peut-être un triple sens.

    Là, soit tu décroches parce que tu te dis que tu ne comprends rien à la poésie, soit tu te dis bon, il est malade ce mec!

    Au quatrième degré, il y a un transfert d’état et la vérité t’apparaît hors des mots…

     

    Quelle vérité ?

     

    Si tu me regardes en train de contempler une pomme…Ta vérité c’est que tu vois quelqu’un qui regarde une pomme. Imagines-tu que cela est la vérité, ou une simple partie de la vérité ou peut-être une vérité qui concerne l’apparence ? Mais si ça se trouve je ne vois pas la pomme, je suis en train de visualiser quelque chose d’autre, qui se produit dans ma tête. Si ça se trouve je suis en train de me ressouvenir d’une expérience que j’ai vécue il y a six mois. Or, si tu veux témoigner de ce que tu as vu, tu ne sais dire qu’une chose c’est : « j’ai vu un homme qui regardait une pomme  ».

    C’est ta vérité mais ce n’est pas la mienne, or n’oublie pas, tu parles de moi qui suis censé regarder une pomme; tu es censé parler de ma vérité. Mais pour témoigner de ma vérité, il faut qu’à un moment, tu deviennes cet homme qui regarde la pomme.

     

    Fusionner avec celui qui est regardé ?

     

    Exactement, c’est cela pour moi la poésie ! Que l’on utilise la pierre, le verbe, ou le mot, que l’on utilise la peinture, le tire à l’arc, ou que l’on utilise n’importe quoi d’autre, L’art sert toujours la même cause : « entrer en contact intime avec… ». C’est le moyen qui permet à l’autre, à toi, de fusionner un peu avec toi, avec l’autre, car chaque pas accompli en l’autre est un pas accompli en soi.

    C’est le voyage que tu peux faire au travers de l’invitation de l’autre qui crée l’invitation du voyage que tu peux faire en toi.

     


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