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De la perception (3)
– Nous parlions de la prise de conscience, de la multiplicité et de l'unité. Comment prendre conscience de façon complète et entière... pas seulement par la pensée ?
– Cher ami, prendre conscience d'une façon complète ne se peut qu'en dehors de l'existence peut-être, je veux dire lorsque nous ne sommes plus. Et même là je ne crois pas cela possible, la conscientisation est une affaire de relativité, c'est du moins ce que j'en sais.
– M..., alors nous sommes confinés à ne voir que du faux ?
– Tu ne me comprends pas j'en ai peur... rien n'est faux, ce ne sont que des parties de vérité. Nous ne pouvons absorber la vérité dans son ensemble, parce que nous sommes pas la vérité. Nous ne sommes que des parcelles de vérité, c'est le grain de sable qui voudrait faire entrer en lui la montagne. C'est cela à quoi tu rêves.
– Certains disent que nous sommes comparables à des vagues d'un océan.
– Moi je préfère me comparer à un grain de sable, question d'échelle ou d'humilité.
– Un grain de sable semble totalement déconnecté de son environnement, contrairement à la vague.
– Ah bon ? La vague passe son temps à fabriquer des grains de sable pourtant... (sourire).
– Peu importe... nous sommes plongés dans la confusion. Cette confusion peut-elle prendre fin ?
– Je ne dirai pas les choses ainsi, mais je comprends... laisse-moi encore te dire à ma façon. Nous naissons aveugle et sourds, hélas pas muets... (Rires). La règle du jeu c'est ouvrir nos yeux et nos oreilles, pour dans un premier temps, comprendre que nous sommes des individualités séparées et reliées en même temps, séparées par des distances et reliées par une faculté de communication.
Cette faculté de communication doit nous permettre de dépasser les limites organiques de nos sens, jusqu'à comprendre un jour que la distance est une illusion, qu'elle n'existe que sous la poussée de notre esprit.
– Donc, la communication serait pour toi la clef pour briser cette distance ?
– La communication pour moi a ce sens : perception doublée, parce qu'on ne peut percevoir qu'en dynamique avec la chose perçue, autrement dit : je te vois comme tu me vois, parce que je te montre comme tu me montres. Ce que je perçois de la fleur correspond à ce que je veux montrer de moi à cette fleur. Ceci est un secret que peu de « savants » veulent entendre.
– Mais lorsque tu perçois une fleur, le fais-tu en fonction de la pensée ?
– Non, mais la pensée n'est pas un obstacle, elle est un outil d'interprétation, si je me sers bien de la pensée, il n'y a aucune raison pour se glisse entre la fleur et moi. La pensée est comme un chien, si le chien est mal éduqué, il monte dans ton lit et te met dehors. Si le chien est bien éduqué, il dort sous ton lit et veille pour que tu puisses dormir en paix.
– Mais comment sais-tu lorsque tu perçois la fleur sans l'interprétation de la pensée ?
– Je ne sais pas, puisque savoir dépend de la pensée, je sens avec mon corps, ou je sais avec mon corps. Dès lors je peux aussi inviter la pensée au banquet et partager avec elle ce que mon corps sait, c'est aussi simple... (Sourire)
– Donc, tu dirais qu'il est possible de contrôler la pensée au lieu de se laisser contrôler par elle ?
– Je l'affirme ! Je le démontre aussi, chaque jour.
– Pourquoi je crois que c'est impossible ? Dans mon cas, tout ce que je fais semble être sous l'ordre d'une pensée.
– Tout ce que tu me dis, je l'ai dit aussi. Tu es sincère, sois tranquille. Tranquille et jamais au repos, comme une flèche tendue, la flèche, se pose-t-elle la question : mais où vais-je ?
Non, ce n'est pas son affaire, elle se tient droite, sans peur ni remord, sans doute ni question, mais juste tendue vers l'autre rivage.
– Le pire est que je ne sais même pas si ce que je cherche existe vraiment. Quand as-tu découvert ce que tu cherchais ?
– Chaque jour, ce que j'ai découvert se découvre un peu plus, et je pense que jusqu'à mon dernier jour il en sera ainsi, cal a dû commencer dès ma conception et c'est ainsi pour tout le monde.
– Oui je vois... Mais que dis-tu de ceux qui disent que la liberté n'est pas progressive... mais instantanée. Un livre de Krishnamurti s'intitule même « Première et Dernière Liberté ».
– La liberté est instantanée oui, toujours, mais on ne la garde pas longtemps. Si je te libère de tes chaînes, tu es instantanément libre, combien de temps avant que tu ne retombes dans de nouveaux pièges ? Avec du temps peu à peu, on apprend à ne plus tomber dans les pièges. Pour rester libre il faut se battre.
– Contre quoi ?
– En un mot ?
– Oui.
– Nos habitudes !
– Humm, mais cet état de bataille n'est pas sain. Il y a un conflit entre ce qui est et ce qui devrait être.
– Voilà le problème avec toi, tu as une conception de la vie un peu idéaliste, utopiste.
– Oui, c'est vrai.
– Sans bataille pas de vie.
– Pourtant, lorsque je suis en état de contemplation... il n'y a pas de bataille.
– Plus on est fort, moins on se bat... Tu ne les vois pas, mais il y en a. La paix ne peux exister qu'entre deux batailles.
– Je ne suis pas convaincu, alors, d'après toi... on ne peut vivre qu'en état de conflit ? Aussi bien se suicider.
– Tu ne m'as pas lu attentivement, je n'ai pas dit cela...
Tags : penser, fleur, temps, perception, recherche, liberté
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