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  • - La liberté, cher ami, ce n'est pas seulement pouvoir disposer de son temps selon son gré. Ni pouvoir jouir d'un espace illimité pour se déplacer.

    - Oh, je sais bien de quoi vous parlez ! De la liberté de penser !

    Il me fixa attentivement, comme pour voir à quel point je réalisais le sens de mes mots, puis il sourit avec tendresse.

    - Dans le monde de la pensée, il n'y a pas de possibilité pour la liberté, toutes celles qui sont dans nos têtes nous sont prêtées, les pensées sont comme des jouets dans la salle d'attente d'un pédiatre. Nous oublions un moment qu'elles ne sont pas à nous. Quelque fois, nous mettons un de ces objets dans notre poche. Nous l'emmenons chez nous, puis avec le temps, nous finissons par oublier notre larcin, nous sommes sûrs qu'il nous a toujours appartenu. Le plus souvent c'est quelqu'un d'autre qui nous le glisse dans la poche à notre insu. Les objets s'entassent ainsi dans notre coffre, plus il est rempli et plus on se sent puissant, riche. Ensuite, nous manipulons ces jouets. Tantôt dans un ordre pour construire un pont, une maison, lancer une bataille, et cætera. Et tantôt nous démontons pour installer un nouveau décor, une autre aventure. Nous gesticulons, pendus à des fils. Avec un énorme sentiment de liberté. Parce que nous ne les voyons pas ces fils, nous ne savons pas que nous sommes des marionnettes.

    Je l'avais derrière les yeux cette marionnette pendue à une croix. Je pouvais voir que chacun de ses mouvements était dirigé par les mouvements de la main qui la tenait.

    - Mais Manter, la liberté pour cette marionnette serait de couper ses fils, c'est impossible ! Aucune marionnette ne se meut d'elle-même, si on la libère des fils qui la portent, elle s'écrase sur le sol et devient inerte !

    Accompagnant mes paroles par le geste je ramassai une pierre ronde et la jetai contre la paroi du rocher noir. Elle vint heurter une grosse pierre, à cinq mètres de nous, sur laquelle elle rebondit avec force et alla se figer dans un trou à deux mètres du sol. Sa loge n'était pas beaucoup plus grande que la pierre qui s'y blottit tel un œuf dans son nid.

    Épaté, je tournai les yeux vers mon compagnon jardinier, il était immobile, fixant ma pierre ou le trou, peut-être les deux en même temps. Pendant trente secondes je ne fis que cela, faire voyager mon regard de ma pierre aux yeux de Manter.

    - Tu peux recommencer ce tir ? me demanda-t-il.

    - Quoi ? Vous voulez que je réessaye de lancer la pierre dans le trou en la faisant ricocher ? C'est impossible ! Lui criai-je en m'esclaffant.

    - Tu as certainement raison, il n'y a peut-être qu'une chance sur un million que tu y parviennes à nouveau. Et pourtant, sans pensée ni but, tu as réussi à faire quelque chose de tout à fait impossible. C'est de cette liberté là que je voulais parler. Qui n'est pas liberté de penser, mais liberté d'agir sans encombrement. Dans l'instant où nous parlions de la « liberté », quelque chose de « toi » s'offrit cette liberté si précieuse. Sans que rien ne l'annonce. Nous sommes restés des poignées de secondes au-dessus du vide. Car la vraie liberté crée du vide en aspirant tout le superflu.

     


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  • Manter m’expliqua que ce que j’appelais un "objet" et un "être vivant", étaient pour lui une même chose. Un potentiel d’énergie. Il ajouta que tout était énergie et qu’il n’y avait pas moyen de percevoir l’énergie avec nos yeux. Que c’était notre mental inconscient qui transposait l’énergie invisible en matière. Mais que nos corps transmettaient à notre inconscient la somme de ce que nous échangions avec le monde qui nous entoure. L’énergie est lumière, notre esprit a désappris presque tout ce qui la concerne. Seules les formes sont exploitables pour lui. C’est pour cette raison que notre conscience s’évertue à prêter des formes à tout ce qu’elle rencontre. Des formes et des noms avec lesquels elle peut négocier.

     


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  • Ceux qui sont les plus riches, me dit-il, ne possèdent rien. Ils sont riches de n’avoir rien à perdre. Les puissants ont beaucoup à perdre, ça leur fait faire des cauchemars. Celui qui n’a rien à perdre ignore la crainte.

     Ma bouche s’ouvrit comme un œuf. Il venait de stopper l’élan que j’avais pris pour lui développer ma théorie sur « comment cultiver sa force et ne plus avoir peur ».

    - N’avoir plus rien à perdre, c’est quoi ça ? Une forme de dépression chronique ? Lui répliquai-je d’un ton ironique. Vous y arrivez, vous, à concilier volonté de vivre et « n’avoir plus rien à perdre ? ».

    Il s’esclaffa en lâchant un geyser d’eau de sa bouche qu’il avait collé au goulot de sa gourde, un mini arc-en-ciel le saisit au vol et s’y allongea l’instant éphémère qu’il fallut au million d’infimes gouttelettes pour toucher le sol.

    - Tu as vu ? dit-il ? Cet arc fut pour nous deux, seulement pour nous deux. As-tu senti le regret qui a pointé en toi à cause de la brièveté de sa présence ?  Un arc-en-ciel c’est attachant n’est-ce-pas ? Oh bien sûr on l’oublie vite ! Mais on nourrit l’envie qu’il dure un peu, juste le temps de lui faire de la place dans notre cœur. C’est étonnant comme on peut s’attendrir devant un simple phénomène, devant le mariage du soleil et de l’eau. As-tu observé chez les animaux de telles réactions ?

    - Vous voulez dire une émotion devant la beauté des choses ?

    - Oui

    - Je ne sais pas … J’ai vu leur curiosité devant des choses inconnues. Mais je ne peux dire s’ils sont touchés ou émerveillés.

    - Nous les humains, nous nous émerveillons souvent, mais nous ne gardons pas de souvenirs intenses de ce qui nous a touché, nous sommes plus attachés à nos ressentiments qu’aux phénomènes auxquels ils se rattachent. Nos émotions sont précieuses, nous avons peur de les perdre.

     


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